
Une entrée en scène céleste, où la folie et le pardon dansent main dans la main dans le royaume des Wilis — retour sur une reprise envoûtante et lumineuse.
La saison 2025-2026 de l’Opéra de Paris s’ouvre sous le signe du romantisme avec Giselle, ballet emblématique du XIXᵉ siècle. Sur la scène du Palais Garnier, la jeune paysanne trahie par amour revient hanter les nuits du ballet, dans une production qui conjugue grâce intemporelle et émotion contemporaine. Depuis sa création en 1841, Giselle demeure le joyau absolu du répertoire romantique, un poème dansé où se mêlent folie, mort et rédemption. Ce chef-d’œuvre, chorégraphié à l’origine par Jean Coralli et Jules Perrot, puis adapté par Patrice Bart et Eugène Polyakov, retrouve ici toute sa force dramatique. Le public suit l’histoire bouleversante d’une jeune fille promise à un amour illusoire : Giselle aime Albrecht, qu’elle croit simple villageois, mais qui se révèle être un duc déjà fiancé. Lorsque la vérité éclate, le cœur de Giselle se brise. Sa raison s’effondre dans une scène d’anthologie — un des sommets du ballet romantique — avant que son âme ne s’élève vers le royaume des Wilis, ces esprits de fiancées mortes avant leurs noces, condamnées à danser éternellement.
La folie, la grâce et la lumière
Sur la scène du Palais Garnier, tout semble flotter entre rêve et réalité. La blancheur immaculée des costumes, les jeux de lumière et les décors vaporeux créent un espace suspendu, presque surnaturel. La direction musicale d’Andrea Quinn, précise et nuancée, soutient avec élégance le lyrisme de la partition d’Adolphe Adam, servie par l’Orchestre de l’Opéra national de Paris. La distribution de cette rentrée réunit quelques-unes des plus belles figures de la compagnie : Sae Eun Park incarne une Giselle à la fois fragile et incandescente, dont chaque geste semble dicté par l’âme plutôt que par le corps. En Albrecht, Germain Louvet offre une présence à la fois noble et tourmentée, transformant la trahison en remords. Roxane Stojanov, en Myrtha, impose une autorité glacée, reine des Wilis implacable mais fascinante. Ensemble, ils restituent l’alchimie qui fait de Giselle un drame d’une pureté absolue. Ce ballet, pourtant vieux de près de deux siècles, retrouve ici une intensité nouvelle. Loin d’un simple exercice de style, il devient une méditation sur la folie amoureuse et sur la force du pardon. La chorégraphie, tout en respectant les canons du romantisme, laisse affleurer une expressivité moderne : la danse ne raconte plus seulement l’histoire d’une trahison, elle explore la fragilité humaine, l’instant où l’amour bascule dans la déraison.
Un patrimoine vivant
Choisir Giselle pour ouvrir la saison du Ballet de l’Opéra de Paris n’est pas un hasard. Cette œuvre résume à elle seule l’âme du ballet français : un art du raffinement, du drame et de la beauté transcendée. Dans un monde où tout s’accélère, ce retour au répertoire classique apparaît comme une respiration, un rappel de ce que la danse peut exprimer de plus universel.
Les spectateurs, saisis par l’atmosphère presque mystique du deuxième acte, se laissent porter par la poésie de cette « forêt de fantômes ». La scène, baignée d’un clair-obscur d’argent, devient un espace d’entre-deux mondes : celui des vivants et celui des esprits. Et dans cet espace fragile, l’amour persiste. Giselle, dans son ultime élan, pardonne à celui qui l’a trahie — un geste d’une noblesse infinie qui achève de faire d’elle une figure mythique du ballet.
Un retour salué, une émotion retrouvée
Avec cette nouvelle série de représentations, l’Opéra de Paris signe un retour aux sources, tout en insufflant un vent de fraîcheur. Le corps de ballet, d’une homogénéité exemplaire, déploie une légèreté presque irréelle. Les Wilis, blanches silhouettes à la fois terrifiantes et sublimes, forment un chœur silencieux d’une beauté hypnotique. Ce Giselle version 2025 est bien plus qu’une reprise : c’est une renaissance. Chaque note, chaque pas, chaque regard semble ravivé par une énergie nouvelle. Le public sort du Palais Garnier ému, presque flottant, comme s’il avait lui aussi traversé ce royaume de brume et de pardon. En refermant la soirée, une impression s’impose : Giselle ne vieillit pas. Elle se réinvente. Et c’est dans cette fidélité lumineuse à l’émotion humaine que réside, peut-être, la vraie modernité du ballet romantique.
Palais Garnier
du 28 septembre au 31 octobre 2025
2h10 avec 1 entracte