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E.Rials, rédacteur

20/10/25

Don Giovanni embrase l’Athénée : un diable très humain, un théâtre en apesanteur

Le frisson est immédiat : orchestre sur scène, chanteurs au milieu des pupitres, souffle dramatique tendu. Le Don Giovanni de Mozart, de retour à l’Athénée-Théâtre Louis-Jouvet à Paris (15–21 octobre 2025), cultive une proximité rare et une lecture nerveuse, charnelle, qui renverse nos habitudes d’écoute.

Je suis entré dans la Grande Salle persuadé de connaître l’histoire par cœur. J’en suis ressorti avec l’oreille rajeunie. Pas de fosse : les musiciens partagent le plateau avec les chanteurs, et l’énergie circule sans filtre. Julien Chauvin, dirigeant depuis son pupitre de premier violon à la tête du Concert de la Loge, impulse un mouvement vif, des attaques franches, des suspensions dosées comme des respirations de théâtre. En trois heures (entracte compris), la musique ne lâche jamais la scène ; pourtant, rien ne presse inutilement. C’est cette tension-détente, ce balancement entre vitesse et silence, qui donne au récit son grain vivant. Jusqu’au 21 octobre, l’Athénée bat au rythme de Mozart.


Le contexte compte : une reprise très attendue, portée par la mise en scène précise et sensible de Jean-Yves Ruf. Le dispositif est simple — passerelle, voiles de tulle, lampes qui descendent des cintres — mais le regard est happé. La scénographie transforme la partition en espace, le plateau en caisse de résonance. Les costumes de Claudia Jenatsch, intemporels, déclinent des couleurs-signatures (un rouge profond pour Donna Anna, un bleu céleste pour Donna Elvira, un blanc lumineux pour Zerlina) et ancrent l’action dans un passé sans date, assez proche pour brûler encore. On perçoit physiquement l’obsession centrale de l’œuvre : la pulsion de vie qui se heurte à sa propre limite.


La distribution avance comme une troupe soudée. Timothée Varon impose un Don Giovanni d’autorité : pas seulement un charmeur, mais un décideur ; un geste, un regard, et la scène bascule. Adrien Fournaison lui répond par un Leporellotrès incarné : projection ample, diction nette ; son « catalogue » amuse sans cligner de l’œil. Margaux Poguet donne à Elvira un métal vocal qui se voile de tendresse dans « Mi tradì » ; Marianne Croux fait de Donna Anna une ligne ferme traversée de nostalgie (« Non mi dir » filé avec tact). Abel Zamora prête à Ottavio un souffle long et une élégance sans amidon (« Il mio tesoro » propre et fluide). Michèle Bréant (Zerlina) charmerait un régiment sans minauder ; Mathieu Gourlet (Masetto) oppose sa franchise terrienne ; Nathanaël Tavernier (le Commandeur) fait vibrer le bronze. On sent l’écoute mutuelle, la confiance rythmique, la respiration commune entre plateau et pupitres.


Ce qui me frappe surtout, c’est la manière dont la mise en scène assume la dualité du dramma giocoso. Don Giovannin’est ni farce noire ni sermon édifiant : il est les deux à la fois. L’orchestre visible brouille la frontière entre jeu et menace ; les instrumentistes eux-mêmes deviennent complices, comme si la musique tirait la mèche des situations. On rit, puis l’on frissonne : au bal masqué, les lignes des vents scintillent comme un sourire ; à l’apparition du Commandeur, les cuivres creusent l’air, et la température chute d’un degré. Ce théâtre-là ne raconte pas seulement la légende du séducteur : il en éprouve le vertige, la vitesse, la chute.


Il faut dire un mot du style musical : attaques nettes, contrastes tranchés, mais jamais secs. Les récitatifs filent sans poussière ; les ensembles trouvent des équilibres clairs, avec des phrasés qui respirent le texte. Dans la salle à l’italienne, la proximité magnifie les nuances : une demi-teinte de cordes, un appui consonant sur une syllabe changent la couleur d’une situation. Le dernier tableau, mené sans gras, rejoint cette évidence : dans Mozart, l’éthique et le rythme ne font qu’un.


Et maintenant ? Je parierais que cette formule — orchestre sur scène, direction depuis le violon, troupe jeune — parle aux curieux qui veulent sentir le théâtre battre à la même cadence que la musique. En sortant, j’ai vu des spectateurs vérifier les places pour les dernières dates : signe qui ne trompe pas. Si vous pensez connaître Don Giovanni, venez mesurer ce que la proximité peut déplacer dans l’écoute ; si vous ne le connaissez pas, tant mieux : vous le découvrirez au plus près, comme on surprend un secret.

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